QUELQUES INFORMATIONS SUR LE SOJA EN ARGENTINE

par Christine Seghezzi

L’Argentine dispose d’une surface utile cinq fois supérieure à celle de la France (180 millions d'hectares). 

 

Traditionnellement et jusqu’à il y a quelques années, le pays pratiquait un élevage extensif ainsi que la rotation des cultures. Les terrains les moins fertiles étaient utilisés pour l’élevage de bétail qui vivait toute l’année en plein air. 

 

Les semences Roundup Ready ont été mises sur le marché par l'entreprise américaine Monsanto en 1996. C'est à partir de la crise économique argentine de la fin de l'année 2001 que la culture de soja s'est développé massivement. Le bon rendement des oléagineux, le cours élevé à la bourse de Chicago et le faible coût de production ont incité de nombreux producteurs à se convertir petit à petit à la monoculture du soja. 

 

Les surfaces cultivées de soja sont passées entre 2000 et 2015 de 8,3 millions d'hectares à 21 millions d'hectares, ce qui correspond à 60 % du total des surfaces agricoles argentines (environ 1/3 de la surface de la métropole française). Plus d’un million d’hectares de forêts ont été déboisés et dédiés à cette culture. La production est passée de 10 millions de tonnes à plus de 50 millions de tonnes annuelles.  

 

98% du soja cultivé en Argentine aujourd'hui est le soja génétiquement modifié Roundup Ready de Monsanto, résistant au glyphosate Roundup, fabriqué par la même entreprise. Le glyphosate tue toutes les autres plantes et n’épargne que le soja Roundup Ready. Pour cultiver le soja, on épand annuellement environ 240 millions de litres de pesticides, épandues par voie terrestre et par avion. 

 

Pour conquérir le marche argentin du soja transgénique, Monsanto avait accordé de nombreux privilèges aux cultivateurs : des prix défiant toute concurrence sur ses semences de soja Roundup Ready, l’absence de brevet et l’engagement de ne pas poursuivre les cultivateurs qui replantent une partie de leur récolte. 

 

90% des récoltes de soja sont exportées et l'Etat prélève des taxes élevées sur les exportations (de l'ordre de 30 à 35%), payées en  dollars US. 

 

Les trois quarts du soja récolté sont utilisés pour nourrir les animaux (bétail, porcs) en Chine et en Europe. L’Europe autorise l’importation du soja Roundup Ready 2 depuis 2008. Sur les 50 millions de tonnes produites annuellement en Argentine, environ 18 millions sont importées en Europe, dont 4,5 millions de tonnes en France.

 

Les surfaces des champs étant utilisées majoritairement pour la culture du soja, des feedlots (parc d’engraissement intensif) ont détrôné l’élevage extensif en plein air et sont devenus la norme. Le cheptel des bovins argentins a diminué de 58 millions de têtes de bétail en 2005 à 48 millions en 2010. Le prix de la viande a augmenté de 75% pendant la seule année 2010, alors que sa qualité a baissé. En une année, 6000 petits producteurs de viande ont cessé leur activité. De nombreux abattoirs ont fermé. 

 

Derrière les cultivateurs de soja, on trouve des groupes anonymes qui spéculent avec des fonds de pensions ou des investisseurs qui combinent les secteurs de la communication avec l’agriculture. Ainsi se forment des pools de semences, constitués d’entrepreneurs du secteur rural ou de l’agrochimie et d’investisseurs nationaux ou internationaux.

Ces groupes n’achètent pas les terres, ils les louent, puisque leurs projections s’inscrivent dans une logique du maximum de rendement à court terme en cultivant les céréales à très grande échelle. Le producteur qui travaille les champs devient alors un salarié de ces groupes d’investissement et dépend des remboursements de crédits contractés.

 

Les conséquences de ce changement vers la monoculture, basé sur une vision du profit à court terme, sont désastreuses. Les soja étant rentable qu'à grande échelle, 160 000 familles de petits exploitants, selon une étude de l’université de Buenos Aires, ont quitté leurs terres entre les années 2000 et 2010. Des paysans locaux, qui, souvent, ne possédaient pas de titre de propriété, ont été expulsés de leurs terres et sont venus peupler massivement les bidonvilles autour des grandes villes du pays. Deux personnes étant suffisantes pour s'occuper de 1000 hectares de champs, les ouvriers des champs et les "gauchos", gardiens des vaches, ont perdu leurs emplois.

 

La monoculture use les sols, les lessive, érode et rend stériles à long terme. Périodes de sécheresse et d’inondations se succèdent désormais, entrainant des changements climatiques.

 

La pulvérisation de pesticides et herbicides au-dessus des champs de soja contamine les champs voisins, les nappes phréatiques et les villages. Selon les statistiques des médecins travaillant dans les zones de cultures de soja, le taux de cancer a triplé entre 2000 et 2015 et est devenu la première cause de mortalité à la campagne. On observe une augmentation significative de malformations congénitales graves à la naissance, de maladies respiratoires, d'infertilité, de fausse-couches à répétition et on déplore de nombreux décès par intoxication. 

 

A ce jour, peu de personnes osent élever leurs voix contre le système du soja, les enjeux économiques étant énormes. Des fortes pressions s'exercent envers ceux qui s'expriment contre la monoculture. Les mères d'Ituzaingo Anexo, qui ont fait un travail important dans la province de Cordoba, ont subi de multiples intimidations allant jusqu'à des menaces de mort anonymes. L'universitaire Andrès Carrasco, le premier à avoir mis en lumière la relation entre le glyphosate et les malformations congénitales, a enduré une très forte campagne de décrédibilisation de ces travaux... Mais outre les recherches d'Andrés Carrasco et les actions des mères d'Ituzaingo, il faut saluer le travail des médecins exerçant dans les zones de culture de soja et qui se sont constitués en réseau (Medicos de pueblos fumigados), du Groupe de réflexion rurale (grupo de reflexion rural), du Pr Damian Verzeñassi, professeur de médecine à l'Université de Rosario, du Pr Damian J. Marino, professeur dans le département de chimie de l'Université de La Plata, de Via Campesina. parmi d'autres, et dont les travaux et actions contribuent de manière importante et souvent très courageuse à la recherche et l'information pour influer un autre développement de l'Argentine.

 

(Informations provenant essentiellement de la documentation du Grupo de reflexion rural, Argentine)

Liens utiles : http://www.grupodereflexionrural.com/

Medicos de pueblos fumigados : http://reduas.com.ar/

Pour plus d'informations :

http://s.ouest-france.fr/labs/grand-format/glyphosate-mort-au-bout-des-recoltes/

http://www.liberation.fr/planete/2017/10/24/le-glyphosate-dans-tous-ces-etats_1605442

https://www.franceculture.fr/emissions/le-magazine-de-la-redaction/la-revolte-argentine-contre-monsanto-rediffusion-de-lemission